Alors on commence, on fait tout bien "comme il faut", on est content de soi, et puis... Et puis un jour, on craque. Malgré toute notre détermination, malgré toutes nos résolutions, on n'arrive pas à résister à l'éclair en chocolat dans la vitrine, ou encore on rêve d'un simple plat de pâtes à la sauce tomate qu'on rentre vite se préparer à la maison.
(photo : Mathurin) |
Et après, on culpabilise - en plus de se sentir mal dans notre corps qui nous le fait payer à sa manière.
J'avais rédigé un billet sur la question de conserver ou non un minimum d'alimentation toxique pour ne pas être malade après un écart. J'étais arrivée à la conclusion que non, mais qu'il fallait se laisser le droit de faire ces écarts, à condition d'en assumer les suites (que je qualifiais de souhaitables et bénéfiques).
Mais il s'agissait là de choix conscients, de décisions faites en toute lucidité. Cette fois, je m'intéresse aux "craquages", ces faiblesses contre lesquelles on aimerait lutter pour telle ou telle raison, mais qui sont plus fortes que nous. Un craquage, c'est un "besoin" compulsif d'aller vers un aliment dont on sait qu'il ne nous fera pas de bien.
Pourquoi, alors qu'on a clairement énoncé notre choix d'une alimentation physiologique, est-on soudainement attiré par un aliment non physiologique ?
1) La première raison est d'ordre physiologique : il y a addiction physiologique.
De nombreux aliments non physiologiques contiennent des opiacés (substances contenant de l'opium ou exerçant une action comparable à l'opium). Ces opiacés, une fois dans l'organisme, vont se fixer sur les récepteurs de la sérotonine (hormone du bien-être) et augmentent la sensation de plaisir, en même temps qu'ils augmentent la dépendance à leur propre consommation - forcément.
Ces opiacés se retrouvent par exemple dans le blé. La protéine dite "gliadine" agit dans le cerveau sur les mêmes récepteurs qui reçoivent les opiacés. Il s'en suit une augmentation de l'appétit, ou plutôt une diminution de la sensation de satiété. Ainsi, le blé crée une accoutumance qui pousse à en manger toujours plus.
On les retrouve également dans le lait et ses dérivés, notamment le fromage où ces opiacés sont bien concentrés. Une étude a en effet montré que le lait de n'importe quelle espèce contient naturellement de la morphine. Pourquoi cet opiacé a-t-il sa place dans cet aliment ? Tout simplement parce que la morphine a un effet calmant et réconfortant d'une part, qui a pour but de réconforter le petit de l'espèce, et d'autre part, parce que son caractère hautement addictif permet la survie de l'espèce en rappelant instinctivement le bébé vers sa mère, pour qu'il se nourrisse et acquière force et vitalité.
Ça, c'est parfaitement acceptable dans le cadre normal de l'allaitement naturel, dans le respect de chaque espèce. Par contre, ça devient totalement dénaturé et pervers quand les individus d'une espèce (humaine, en l'occurrence), censés être sevrés depuis des années, consomment le lait d'une autre espèce (vache, brebis...) et en sont physiologiquement complètement accros.
Dans son livre Breaking the food seduction, le docteur Neal Barnard montre comment le fromage, du fait de sa haute concentration en caséine (qui se fragmente en "casomorphine" lors de la digestion), et de la présence d'une substance qui agit comme une amphétamine, la phenylethylamine (ou PEA), est un aliment physiologiquement addictif qui se comporte comme une vraie drogue.
Attendez, ce n'est pas tout. On retrouve cette PEA dans les saucisses et le chocolat. On retrouve ces opiacés dans la viande. Bref, autant d'aliments non physiologiques qui agissent, sans que nous en ayons forcément conscience, comme des drogues sur notre cerveau.
Mais l'addiction physiologique peut également provenir d'un déficit hormonal dans un organisme. Avec la vie stressante et polluée que nous vivons, il arrive trop souvent que nos glandes surrénales soient à plat. Bien sûr, on ne le sait pas, parce que l'alimentation moderne est pleine de stimulants qui nous maintiennent debout. C'est le cas notamment de l'abondance de produits animaux dans le régime actuel : faute de produire assez d'hormones, on va les chercher chez les animaux. D'où ce "besoin" en produits animaux, cette appétance pour la viande. On y trouve les hormones sécrétées en masse par l'animal au moment de l'abattage : hormones de stress (comme le cortisol, l'adrénaline, la norépinéphrine ou noradrénaline) qui, récupérées par le consommateur de viande, stimulent son système épuisé, pallient ses déficiences de production, et... le rendent accro à la source.
Enfin, une autre cause de l'addiction physiologique est notre flore intestinale. Elle se développe en fonction de notre alimentation, elle s'adapte. Or après une alimentation fondée sur les céréales, qui sont composées de sucres complexes, il est évident qu'on aura une flore basée sur la décomposition des sucres... autrement dit : une prolifération de candida albicans, même si on n'en a pas (encore) les manifestions !
Bref, qu'il s'agisse du candida ou des ses collègues, quand il y a une dysbiose (déséquilibre de la flore intestinale), ça va forcément poser problème lors d'un changement alimentaire : les bactéries et levures présentes, si on ne leur apporte pas la nourriture pour laquelle elles sont là, vont vite crier famine ! On percevra alors le message d'un besoin compulsif de tel ou tel aliment.
On voit donc comment nos "craquages" peuvent être dus à nos addictions physiologiques. Mais ce n'est pas suffisant pour les expliquer, car les addictions psychologiques peuvent également entrer en jeu.
2) Les addictions psychologiques
On craque "psychologiquement" sur un aliment qui ne fait pas partie du plan alimentaire qu'on s'est donné (ou vers lequel on tend) quand on se trouve une bonne raison pour le consommer malgré tout. Le cas typique c'est quand on justifie cette prise alimentaire par un argument du genre : "Je sais que ce n'est pas bon pour moi, mais j'aime ça, et j'ai envie de me faire plaisir". Argument qui en fait est empreint de l'addiction physiologique dont nous venons de parler.
On peut même aller faire plein de recherches sur internet pour trouver LA raison (la vitamine, la protéine, etc) qui nous permet de garder bonne conscience. Or si on creuse un peu, on se rend vite compte que cet aliment n'apporte rien de plus intéressant que les fruits et les légumes d'une alimentation adaptée à l'espèce humaine.
Finalement, tous les arguments psychologiques se cassent le nez sur les conséquences physiologiques, car ces craquage justifiés, souvent même revendiqués, entretiennent au final complètement l'addiction physiologique. Cercle vicieux. La vraie liberté, au lieu d'être "Je mange ceci parce que je mange ce que je veux" (soumission aux addictions physiologiques) n'est-elle pas plutôt de dire "Je n'en mange pas, même si j'aime ça, parce que je sais que ça ne me fait pas de bien" ?
3) Comment lutter contre ces addictions ?
Une fois démasquées, comment s'en défaire ? Malheureusement je n'ai pas de baguette magique, ni de solution miracle. Le seul moyen de s'en défaire, c'est le sevrage.
Et là, à chacun son sevrage. Personnellement, dans mon cas j'ai pratiqué le sevrage net, d'un coup d'un seul, parce que j'avais vraiment envie de changer les choses, et rapidement. C'est ma manière de faire mais pour certaines personnes il vaut peut-être mieux passer par un sevrage en douceur, en se donnant du temps, mais en se donnant un but ou une échéance tout de même.
Pour les enfants, j'y suis allée plus doucement de manière générale. Par exemple il y a 8 ans pour ce qui est des produits laitiers j'ai dit à Mathurin (4 ans à l'époque, Eugénie venait de naître donc elle était hors jeu !) qu'il n'en aurait plus à la maison mais qu'il pouvait en consommer à l'extérieur (anniversaires, invitations...). Jusqu'à ce qu'il prenne vraiment conscience du mieux-être qu'il ressentait lorsqu'il n'en consommait pas du tout, et là il a accepté de ne plus du tout en manger même dehors.
Il en a été de même pour les bonbons et les cochonneries industrielles pour Eugénie - Mathurin n'ayant jamais été attiré par ça. Elle faisait ses expériences ponctuelles, se rendait compte du résultat, et en tirait (avec mon aide !) les conclusions.
Notre dernier retrait alimentaire majeur a été le gluten. Les enfants étant plus grands (11 et 7 ans), j'ai proposé un sevrage assez brutal, tout en expliquant mon choix (en fait, tout ce que vous trouvez sur ce blog, je le leur ai expliqué au fur et à mesure, ils ont donc eu accès à toutes les informations que vous pourrez y lire). Et j'ai vu les maux de ventre d'Eugénie s'atténuer de manière incroyable, les allergies ORL de Mathurin disparaître... ils n'ont eu qu'à se rendre à l'évidence.
Aujourd'hui, où en sommes-nous avec nos "craquages" ?
Je ne parlerai pas de Takaya qui mange comme nous à la maison (vegan + cru à 85%) mais qui doit parfois se plier aux contraintes lors de repas business pendant la semaine.
En ce qui concerne Mathurin et moi, tout roule. Plus aucun craquage. Si on a décidé de ne pas manger quelque chose qui, avant, nous mettait l'eau à la bouche, on n'en a pas du tout envie maintenant. Je repense aux vacances d'hiver en février, où nous étions dans un hôtel avec buffet : nous passions sans nous arrêter devant ce qui, quelques semaines plus tôt, nous aurait fait envie. Plus récemment, Mathurin a été invité à un dîner avec ses copains et ses enseignants. Tout le monde a pris le plat hamburger-frites et lui a demandé le salad bar.
Et il ne s'agit pas de dire que "Mathurin est raisonnable" ou "Tu as de la chance, ton fils t'écoute" ! Il faut se rendre à l'évidence : parce que nous avons dépassé le stade du sevrage, nous n'avons plus cette flore intestinale qui crie famine devant un plat de pâtes, nous n'avons plus ce besoin d'apport hormonal extérieur, nous n'avons plus ces addictions alimentaires. Il n'y a donc plus lieu de parler de lutte, et nous n'avons aucun mérite à ne plus avoir envie de pâtes, de fromage, de pâtisseries sucrées. Pas plus que vous n'auriez de mérite à renoncer à n'importe quel aliment que vous n'aimez pas, qu'il soit physiologique ou non.
Eugénie quant à elle, c'est une autre histoire. Pour ce qui est du chapitre produits laitiers, comme elle n'y a jamais touché elle n'y a jamais renoncé, donc ça ne compte pas. Mais il faut reconnaître qu'en passant devant un restaurant italien, l'appel est pâtes est là... Elle loucherait également volontiers sur des pâtisseries... Tiens donc ? Étrangement, c'est elle qui présente tous les symptômes de l'intestin enflammé... Son intestin est donc encore habité par la flore qui prolifère au contact du gluten, et qui lui donne ces "envies".
Alors quel est mon comportement devant ces envies ? Au début, je l'ai laissée faire ses expériences. Elle les payait ensuite par de sévères douleurs intestinales et des diarrhées. Par la suite, j'ai dit non, fermement, tout en expliquant et en lui rappelant les conséquences. Maintenant, elle me dit juste "Je sais que je ne dois pas en manger, mais ça me donne envie" ; mais elle n'en mange pas. J'ai donc bon espoir que l'addiction, contre laquelle il est si dur de lutter à 8 ans, finisse par disparaître, et j'estime de mon devoir de parent de l'y aider - en lui expliquant exactement ce que je viens d'expliquer dans ce billet notamment.
En conclusion, il faut comprendre que les addictions alimentaires n'ont au départ aucune relation avec la volonté, et qu'il ne faut donc pas culpabiliser ceux qui ne cessent de "craquer". Toutefois, une fois qu'on a compris le processus et les causes des addictions qui nous empêchent d'évoluer dans le sens qu'on s'est donné, il est vrai que le sevrage demande des efforts - comme toute désintoxication.
Mais de toute manière, tout moment de crise n'est-il pas un moment de choix ? Ce n'est pas lorsque tout va bien qu'on fait des choix : pourquoi changer quelque chose, alors que tout fonctionne ? C'est vraiment dans les situations de crises qu'on exprime sa liberté - de penser et d'agir.
Caroline