"Du poulet dans mon assiette ???" m'a demandé Mathurin, d'un air scandalisé, la première fois que je lui ai mis ça sous le nez.
Et Eugénie, non moins indignée, m'a gratifiée d'un "Moi Maman, je mange pas les animaux, alors j'en veux pas."
J'étais en fait très contente de mon petit effet, gnark gnar gnark. Je voulais même qu'ils goûtent avant de manger, mais ils ont refusé. J'ai dû vendre la mèche : ce n'est pas du poulet, c'est du tofu !
Comme s'ils n'avaient jamais mangé de tofu de leur vie, vous allez me dire... Ils sont quasiment nés dedans et ils adorent ça. Seulement pas préparé comme ça.
On a l'habitude de le manger cru, avec un peu de shoyu, éventuellement du wasabi ou du gingembre. Ou ajouté au dernier moment dans le miso shiru.
Mais ça, c'était avant que je lise
Living vegan for dummies !
Depuis, je suis un peu moins dummy, mais surtout j'ai découvert un truc formidable : vous congelez un bloc de tofu (comme ça, tel quel, dans son emballage), puis vous le laissez décongeler tranquillement au frigo (toujours dans son emballage, ça prend looongtemps, genre une nuit, un jour, et encore une nuit mais ça dépend peut-être des frigos).
Ensuite vous sortez le tofu de son emballage, vous l'égouttez bien en le pressant un peu si nécessaire, et vous le coupez en morceaux. Vous obtenez une texture complètement différente du tofu frais : c'est désormais spongieux et plus résistant.
À partir de là, vous le faites sauter un peu dans de l'huile d'olive, vous versez un filet de shoyu dessus, et vous servez.
Et non seulement ça a l'allure de cubes de blancs de poulet, mais en plus ça en a le goût. Vous allez me dire qu'on n'a qu'a manger du poulet, si on veut le goût du poulet. Vaste discussion s'il en est, mais il n'en est pas : nous n'avons pas arrêté de manger des produits animaux à cause du goût.
En fait ce qu'il faut comprendre c'est que le tofu ainsi préparé révèle une
saveur umami indiscutable. L'umami, c'est cette 5ème saveur, en plus du sucré, du salé, de l'amer et de l'acide. Textuellement, ce mot japonais うま味 signifie "goût délicieux" : un goût de revenez-y, un goût addictif, très difficile à définir. Pour faire court, c'est un goût protéiné. La viande, le fromage sont "umami". Chez les végétaux, on trouve les champignons par exemple. La cuisine japonaise est très "umami" : le miso, les algues (notamment le nori et le kombu), le shoyu... Finalement des végétaux riches en protéines.
Pour être plus précis, l'umami est apporté par l'anion carboxyle de l'acide glutamique, qui est l'un des 20 acides aminés trouvés dans les aliments riches en protéines.
Attention, il s'agit ici d'un élément
naturel, et naturellement présent dans les aliments. Tout le monde connaît le glutamate monosodique (ou glutamate de sodium, ou E621) et ses effets délétères. Le glutamate monosodique est obtenu artificiellement par l'hydrolyse des sels de l'acide glutamique : on le produit donc synthétiquement et il sert d'exhausteur de goût dans de nombreuses préparations industrielles. Cet additif est cause de nombreux malaises et dérèglements du comportement après ingestion, mais rassurez-vous, la saveur umami, apportée par l'acide glutamique naturel, n'a aucune conséquence négative sur la santé !
Bref, l'envie d'umami n'est donc pas l'apanage des omnivores. Les végétaliens aussi aiment ce goût, et ça tombe bien parce qu'on peut le créer naturellement.
Par exemple, vous connaissez ce fameux "bouillon cube" qu'on ajoute aux soupes de légumes parce qu'il apporte ce petit je-ne-sais-quoi de plus sans lequel bien des gens trouvent la soupe "fade"... Eh bien ce bouillon cube est plein de glutamate monosodique, une horreur. Alors au lieu de ça, utilisez
du sel + de la poudre d'oignon. La combinaison des deux est magique : elle crée le goût umami de manière totalement naturelle.
La
levure alimentaire (nutritional yeast) est également un bon moyen d'apporter de l'umami à un plat végétalien. Qui plus est mélangée à du
tahini.
Le
shoyu est en soi un ingrédient de saveur umami, mais en l'ajoutant à un aliment légèrement sauté dans de l'huile d'olive, il révèle encore plus cet aspect.
Donc, pour en revenir à mon tofu congelé-décongelé-sauté-shoyuté, j'adore cette préparation. Elle me permet enfin de mettre du tofu dans le bento des mousses (je ne sais pas si vous avez déjà tenté l'expérience de mettre du tofu frais dans un bento, mais pour moi ça avait été un désastre... Il faut aimer le tofu liquide et ne pas oublier sa paille. Surtout quand on porte son bento dans un sac à dos et qu'on va à l'école à cloche-pied).
Caroline